La tentative de « putsch » du corps médical face aux SDF, exclus
Le « putsch » que je décris ici est le retour des psychiatres et de l’hôpital psychiatrique dans le
champ de l’intervention sociale avec les SDF, les exclus sous la bannière de la psychologie et
de la psychanalyse. Avant le succès de la théorie freudienne au 20° siècle et sa diffusion sous
la forme de la psychanalyse, les psychiatres avaient dés le 19° siècle intégré le vagabond de
l’époque comme objet de science mais sur un mode qu’ils récusent aujourd’hui pour des
raisons de formes et de pratiques d’enfermements que je vais exposer en premier. C’est en
fonction de cette genèse ancienne que je parle de « putsch » comme une nouveauté.
Nouveauté dans les méthodes d’intervention et parce que les psychiatres doivent composer
aujourd’hui avec les travailleurs sociaux, non présents au 19° siècle, qui occupent ce champ
depuis 1945, pour pouvoir mettre en œuvre leur savoir-faire. La psychologisation conjointe
des populations cibles devient possible parce que les formations dispensées dans les écoles de
travail social intègrent la psychologie comme un élément central de leurs cursus. J’expose
ensuite l’instauration d’un maillage psychiatrique2 national, la sectorisation3, véritable carte
sanitaire, qui lie en France exclusion et santé mentale et constitue le socle juridique de
l’intervention des psy4. La psychiatrie(1) publique renaissait sur la question sociale posée par
les exclus, les SDF mais cette fois prenant appui sur les acquis de la psychanalyse. Un
premier exemple suit, le dispositif psy-précarité de la ville de Paris relevant d’une approche
clinique différenciée des exclus, des SDF. Puis en second vient l’exemple du club du pont
neuf ou pour le Dr Martin les rapports exclus/médecins/SDF/équipes médico-sociale doivent
être déspécifiés. Le Dr Martin tente de ne pas se précipiter dans la prise en charge médicale
classique voire même à l’éviter. Ces exemples sont marginaux mais intéressants car ils
illustrent la continuité et les ruptures du travail de psychologisation entrepris avec la
1 Chercheur associé au G.R.I.S de Rouen, Doctorant au L.A.S.A.R de Caen 2 « la psychiatrie n’est pas une science spécifique mais un mode institutionnel d’approche de la souffrance des sujets dans les aléas de la vie sociale, et donc de la souffrance partagée par des communautés » J.P. Martin, Psychiatrie dans la ville, éditions érès, paris, 2000, p 205 3 comme le souligne le Dr martin dans son ouvrage « psychiatrie dans la ville » aux éditions érès en 2000 la sectorisation a été créée administrativement en France par une circulaire du 15 mars 1960, cette date reste symbolique et la sectorisation s’est mise en place en France à partir de 1972 4 Par psy je désigne ici de maniére générique les psychiatres, psychologues, infirmiers psychiatriques qui de par leur adhésion/références à la psychanalyse et/ou au travail psychiatrique de secteur, d’institution, de rue contribuent à mettre en œuvre les différents dispositifs cités
sectorisation et le débat psychologisation/dépsychologisation : mouvement qui intéresse notre
débat. Je conclue sur une « métamorphose » en devenir de l’intervention sociale auprès des
exclus, des SDF fondées sur une collaboration hôpital/travail social auprès des SDF, des
exclus. Tout ceci en n’ignorant pas que L’hôpital psychiatrique et les travailleurs sociaux
auprès des SDF, des exclus ont le même financier/patron, la D.N.A.S.S5 qui leurs impose
L’intervention des travailleurs sociaux dans le traitement de l’errance des SDF, privés de
logement, et des exclus qui possèdent encore un logement normé s’est développé après 1945.
Une collaboration avec les équipes psychiatriques s’est instaurée sur l’ensemble du territoire
encouragé par les D.D.A.S.S6. Il y a là en germe, au niveau des acteurs de terrain, une
concurrence pour le meilleur traitement des usagers. Les médecins, maître dans leur C.M.P7,
ont entamé une psychologisation des exclus et SDF. Ainsi au niveau de la masse des exclus,
des SDF, le corps médical entend aujourd’hui faire du problème social causé par l’exclusion,
l’errance, dans une société de sédentaire, une question médico-sociale à laquelle il faut donc
apporter des réponses de nature médicale ou sociale. L’instauration d’équipes mixtes,
médecins, infirmiers, travailleurs sociaux, psychologues ne peut dissimuler la réalité de
Les travailleurs sociaux se sont vus délégué par l’Etat français le traitement de l’exclusion,
des SDF depuis 60 ans et n’entendent pas céder le terrain conquis avec plus de 700 C.H.R.S et
autres centres d’accueil sur tout le territoire avec des équipes constituées ou les psy sont
minoritaires. En effet une élite est née au sein des travailleurs sociaux qui dirigent eux-même
leurs structures. Les orientations dominantes restent : la lutte contre l’illettrisme, la formation,
la réinsertion, le logement, l’aspect médical est secondaire. Le SAMU social du Dr
Emmanuelli n’a pas refait le retard pris par le corps médical dans la prise en charge des exclus
et SDF car ceux-ci ont trop tardé à sortir de leurs hôpitaux pour prendre en charge ces
populations qu’ils ne pensaient pas accessibles à la cure psy8. Bref la psychologisation des
exclus, des SDF est en marche mais est trop récente comme le montre les exemples de la
sectorisation qui a débuté dans les années 60, du dispositif psy-précarité de la ville de Paris
des années 90, le travail du Dr Martin au club du pont-neuf toujours en cours pour avoir eu un
effet de masse par rapport au travail plus ancien des travailleurs sociaux auxquels il se sont
5 Direction Nationale de l’Action Sanitaire et sociale : en effet depuis que la question des SDF, des exclus est pris en charge sur fonds publics en France, l’argent public est réparti par le même organisme d’Etat donc le même maître du jeu décide des orientations des politiques publiques 6 Direction Départementale de l’Action sanitaire et Sociale 7 Centre Médico Psychologique 8 Moscovici Serge, l’image de la psychanalyse et son public, P.U.F, Paris, 1971
d’ailleurs associés pour travailler. Nous n’avons pas abordé ici le cas du SAMU social pour
des questions de place mais son histoire est traitée dans notre ouvrage « misère et pauvreté9 ».
Tout au long de cette démonstration lorsque nous parlerons de psychologisation des SDF, des
exclus il faudra entendre : action visant à considérer l’origine des phénomènes d’exclusion
sociale comme fondamentalement centrée sur la personne. Cette origine peut être d’ordre
psychologique ou comportemental et son évocation dans les discours professionnels ou non
évite ainsi d’imputer les causes dominantes réelles et profondes liées au corps social. Mais
I. La Genèse de la médicalisation des vagabonds au XIX° siècle
Au 19° siècle « le vagabond n’était objet de science qu’à travers un ensemble de préoccupations sociales historiquement très marquées »10. La question se pose alors :
pourquoi le vagabond n’intéresse-t-il plus au 19° siècle en tant qu’objet de science ? Le
vagabond « objet d’étude était un objet vide, création du droit, création des philanthropes »11.
Il y avait « disparitions, anonymat, oubli du vagabond par opposition à l’homme responsable, historique et narcissique »12. L’errant, le vagabond s’est révélé être à la fin du 19° siècle un
objet vide en tant qu’objet scientifique « l’énigme épistémologique demeure : pourquoi cette soudaine disparition d’une problématique qui entraîne du même coup la disparition de son objet alors que la persistance réelle, effective de celui-ci est attestée par tous les témoignages ? Bel exemple de fragilité de l’objet d’une science de l’homme, de plusieurs même. Le vagabond est devenu un ensemble de représentations confuses et multiples et non plus un phénomène répertorié »13. C’est la médecine psychiatrique qui s’est saisi de la
question des vagabonds, des exclus en France pour tenter d’en faire un objet scientifique.
L’errance, le vagabondage a été l’objet à cette époque de nombreuses thèses de doctorat en
Médecine sous un angle fortement connoté sur le plan idéologique: l’errance, fait
pathologique, opposé à l’hygiénisme moralisateur. Les références bibliographiques14 cités en
9 Guillou jacques, Moreau de Bellaing Louis, Misère et pauvreté, l’harmattan, 1999, p 93 à 96 10Baune J.C. : Le vagabond et la machine, essai sur l’automatisme ambulatoire, Médecine, technique et société, 1880-1910, collection milieux, Champ Vallon, diffusion P.U.F, août 1983, p. 365. 11 Baruch Gourden J.M. : L’intolérable vagabond; L’errance, Informations sociales, p. 9. 12 Baune J.C. : Le vagabond et la machine, essai sur l’automatisme ambulatoire, Médecine, technique et société, 1880-1910, collection milieux, Champ Vallon, diffusion P.U.F, août 1983, p. 365. 13 Ibidem p364 5Ballet G. : « Discussion sur les aliénés migrateurs » Annales méd. psych. 1903. Beck (Dr) : « Rapport sur le vagabondage et la folie » Thèse médecine Lyon 1902.
bas de pages donnent une idée de ce type de littérature scientifique. Les vagabonds sont
décrits, étudiés comme des aliénés migrateurs. La similitude est frappante avec l’article de
presse que nous citons avec Louis Moreau de Bellaing dans l’introduction de notre ouvrage
« Figures de l’exclusion »15 ou le SDF est assimilé à un oiseau migrateur, ceci 100 ans plus
tard. La continuité postulée en 1903 entre l’aliéné et le migrateur, ici un homme et puis en
2003 la superposition/assimilation à une bête, entend montrer qu’ils sont à protéger d’abord
d’eux même, la migration peut-être dangereuse dans une société de sédentaires, et s’il le faut
d’eux-mêmes puisqu’ils sont aliénés. Le Docteur Beck, dès 1902, assimile le vagabondage et
la folie et le Docteur Benedikt préconise un traitement à ce que le Dr Bergman appelle la
dromomanie, terme entré dans le vocabulaire psychiatrique vers 1900, construit à partir du
grec dromos qui désigne la course. La dromomanie désigne l’impulsion morbide à marcher ou
à courir, nos vagabonds sont ainsi incorporés à la nosographie psychiatrique. Le vagabondage,
devenu officiellement une pathologie, se présente comme une dégénérescence du
comportement humain. A ce titre, des traitements peuvent officiellement être mis en place.
Sur ce point, deux modes d’appréhension se dégagent. Ces deux types de théories peuvent
être saisis aussi bien sur le mode : médical, psychologique, sociologique, juridique. nous
insisterons ici sur les types de prise en charge médicale notamment au niveau des exemples
que nous allons développer par la suite.
Les théories du premier type mettent l’accent sur la responsabilité des individus face à
leur exclusion; l’errant, le vagabond, y est considéré comme un être asocial qui retournera à sa
condition de « misérable » quoiqu’on fasse pour lui. Le corollaire de cette position consiste à
préconiser des mesures répressives contre l’errance, le vagabondage. Parmi ces mesures
répressives l’internement « à vie » est une possibilité en fonction de l’incorporation du
vagabond à la nosographie psychiatrique dès 1900, ainsi que des délits que ceux-ci
commettent et pour lesquels leur irresponsabilité est reconnue. Il s’agit de l’article 64 du code
pénal remanié dans le nouveau code de procédure pénale de 1994 qui prévoit que le juge, en
fonction du délit commis, peut déclarer l’auteur des faits commis irresponsable ou
Benedictk (Dr) : « Le vagabondage et son traitement » AHPML 3ème série 1890. Bergmann (Dr) : « L’automatisme ambulatoire : Fugues et dromomanie » Neurologie centralblatt n° 17, 1889. Pagnier (Dr) : « Un déchet social : le vagabond » Vigot K. Paris 1910. Boutin F. : « L’automatisme ambulatoire alcoolique » Thèse médecine Bordeaux 1922. Bourneville et Boyer : « Impulsifs et trimardeurs » Archives de neurologie 1890 (rééd. id. 1895). Dubourdieu F. : « De la dromomanie des dégénérés » Thèse médecine Bordeaux 1894. Mariet : « Le vagabondage constitutionnel des dégénérés » Annales médecine psy. 1911-1912. Proal : « Vagabondage pathologique » Annales Méd. psy. 1890. 15 Guillou Jacques, Moreau de Bellaing louis, Figures de l’exclusion, parcours de SDF, l’Harmattan, décembre 2003
partiellement responsable après expertise psychiatrique. Notre vagabond fait alors l’objet d’un
placement en Hôpital Psychiatrique. La mesure peut-être levée suite à une expertise favorable.
En 1900 la mesure n’était quasiment jamais levée, il en va autrement aujourd’hui ou le cas
récent d’un assassin d’enfant, plus vieux prisonnier de France par le temps d’incarcération, a
été libéré par la nouvelle cour régionale d’appel qui donne plus de « chances » au demandeur
que les anciennes « conditionnelles chancelleries » qui étaient relativement « rares » et
Les théories du second type mettent l’accent sur l’origine sociale du vagabondage, de
l’errance, de l’exclusion sociale. Elles insistent sur la responsabilité collective en invoquant
un état de la structure sociale et économique avecsans doute la volonté de remettre en
question les discours, représentations et usages des classes dominantes. Le corollaire de ces
positions est de préconiser des mesures d’assistance pour aider le vagabond, l’errant à se
II. La prise en charge des exclus, des SDF dans le cadre de la sectorisation psychiatrique
Après 1945, la prise de contrôle de l’Etat des rouages de l’économie inspirée des théories
économiques keynésiennes s’est étendue au social. Un ensemble de mesures (décrets,
règlements,.) a vu le jour qui a abouti, en ce qui concerne l’errance, le vagabondage,
l’exclusion à l’institutionnalisation des centres d’hébergement et de réinsertion sociale.
L’intérêt du corps médical pour les vagabonds, les exclus de tout poil qui s’était un peu éteint
avec la guerre de 1914-18 va renaître après la seconde guerre mondiale sur l’axe historique de
La circulaire du 15 mai 1960 crée officiellement mais symboliquement le secteur et c’est un
arrêté de mars 1972 qui institutionnalise la sectorisation psychiatrique. Cette médecine, hors
les murs de l’hôpital psychiatrique, va connaître un réel succès tant au niveau des personnels
que des « malades ». Les raisons principales sont les suivantes. Il y avait au niveau des
psychiatres, du corps médical des doutes sur la nécessité/efficacité de l’enfermement. Le
traitement, hors les murs, ambulatoire, permet le maintien du « malade » dans son milieu
ordinaire, de le suivre dans le temps avec une équipe et une intervention cohérente. C’est à
partir de cette époque que l’hôpital psychiatrique s’est mis à recruter massivement des
psychologues. Les Centres médico-psychologiques étaient nés, dirigés par un psychiatre avec
deux à quatre psychologues suivant l’importance de la « file active » de « malades » et
plusieurs infirmiers psychiatriques volontaires pour cette approche innovante de l’intervention
hospitalière. Leur vertu première est : d’évacuer le terme de psychiatrie en lui substituant le
terme de psychologie connoté favorablement au sein des représentations sociales, de mettre en
avant la prise en charge psychologique, mode novateur et moderne de traiter les affections
sociales et mentales. Il s’agit là d’une question de forme puisque sur le fond, ce sont toujours
les psychiatres donc les médecins psychiatres qui exercent le pouvoir. Ce changement est
important puisqu’il entend évacuer la dimension de l’enfermement lié à l’hôpital
psychiatrique. Ce changement est à la source d’une psychologisation de masse par le nombre
de « malades » qui vont être traité. Le « putsch « des médecins à l’égard de l’exclusion de
Pour les « malades » qui devaient antérieurement fréquenter l’hôpital psychiatrique lors des
périodes de « crise » la déstigmatisation est évidente. Les C.M.P implantés dans des
appartements, des pavillons, maisons bourgeoises réaménagés sont beaucoup plus discrets et
évitent le traumatisme répété de l’hospitalisation avec les grands malades mentaux. Les « files
actives » peuvent donc croître dans ce nouveau contexte hospitalier, hors les murs, qui
proposent en plus un nouveau service, l’accès à l’écoute psychologique, réservé jusqu’à
présent aux « malades » fortunés. La démocratisation de l’accès au soin psychologique ouvre
la voie à la psychologisation comme nouveau système d’appréhension par le « malade » lui-
même de sa pathologie ou du moins de la représentation qu’il s’en fait. Le « malade » peut
alors diffuser autour de lui de nouveaux savoirs issus de sa fréquentation des « psy » qui lui
permettent de construire une image de soi valorisante grâce à son nouveau savoir-faire dans
l’appréhension de sa maladie et dans sa capacité à l’exprimer, la décrire dans un langage
nouveau, valorisant. Le recours connus à la psychologie, la psychanalyse dans les milieux
favorisés achève cette revalorisation. Une collaboration avec les équipes psychiatriques s’est
instaurée sur l’ensemble du territoire encouragée par les D.D.A.S.S. Il y a là en germe une
concurrence pour le meilleur traitement des usagers. Les médecins, maître dans leur C.M.P16,
ont entamé une psychologisation des exclus et SDF. Ainsi au niveau de la masse des exclus,
des SDF, le corps médical entend aujourd’hui faire du problème social causé par l’exclusion,
l’errance, dans une société de sédentaire, une question médico-sociale à laquelle il faut donc
apporter des réponses de nature médicale ou sociale. L’instauration d’équipes mixtes,
médecins, infirmiers, travailleurs sociaux, psychologues ne peut dissimuler la réalité de
terrain. Les travailleurs sociaux se sont vus délégué par l’Etat français le traitement de
l’exclusion, des SDF depuis 60 ans et n’entendent pas céder le terrain conquis avec plus de
700 C.H.R.S17 habilités et 1500 autres établissements sur le territoire français avec des
équipes constituées de plus de 12.000 salariés ou les psy sont minoritaires. En effet une élite
est née au sein des travailleurs sociaux qui dirigent eux-même leurs structures. Le tout est
géré par 750 associations de droit privé financés sur fonds publics attribués par les D.D.A.S.S.
Les orientations restent : la lutte contre l’illettrisme, la formation, la réinsertion, le logement,
l’aspect médical est secondaire. Le SAMU social du Dr Emmanuelli créé le 22 novembre
1993 n’a pas refait le retard pris par le corps médical dans la prise en charge des exclus et
SDF car ceux-ci ont trop tardé à sortir de leurs hôpitaux pour prendre en charge ces
populations qu’ils pensaient inaccessibles à la cure psy18 en fonction de leur faible « bagage »
Bref la psychologisation des exclus, des SDF est en marche mais est trop récente comme le
La sectorisation qui a débuté dans les textes dés 1955 par le financement des dépenses
d’hygiène mentale mais n’a été finalement construite et opérationnallisé qu’à partir de 1972
une fois le statut des praticiens définis (psychiatres, psychologues, infirmiers) et les buts
affirmés, le traitement de la maladie mentale, de l’alcoolisme et des toxicomanies qui par
l’effet de la démocratisation de l’accès aux drogues avaient fait leur apparition comme
Le dispositif psy-précarité de la ville de Paris des années 96
Le travail du Dr Martin au club du pont-neuf toujours en cours
La sectorisation a pu avoir un effet sur l’ensemble du territoire en fonction du travail
commencé par les travailleurs sociaux auxquels la sectorisation s'est d’ailleurs associée pour
Nous n’avons pas abordé ici le cas du SAMU social pour des questions de place mais son
histoire est traitée dans notre ouvrage « misère et pauvreté19 ». Pourquoi cette nécessité de la
psychologisation des exclus et SDF ? En France il s’agit pour l’Etat de faire face à une
population « malade » de ses exclus, l’Etat ne sait pas comment éradiquer le phénomène, les
Français ne comprennent pas ce qui est à l’œuvre et pour les plus précaires comment y
échapper. La longue histoire de la domination de l’homme par des phénomènes sociaux
hostiles à son bonheur se répète comme il en a existé dans d’autres civilisations alors que
17 Centre d’Hébergement et de réadaptation Sociale 18 Moscovici Serge, l’image de la psychanalyse et son public, P.U.F, Paris, 1971 19 Guillou jacques, Moreau de Bellaing Louis, Misère et pauvreté, l’harmattan, 1999, p 93 à 96
nous pensions pouvoir y échapper. L’espoir y trouve une fin, insupportable comme réalité
quotidienne sinon dominante pour des catégories entières de population. La psychologisation,
comme nous l’avons défini, vient donner une issue au soupçon de la responsabilité collective.
Le SDF, l’exclu sont, du moins pour partie, responsables du sort qu’ils connaissent, il ne
A défaut d’éradication, la médecine traditionnelle propose une prise en charge douce et de
masse, médicalisée par l’administration de la « pilule du bonheur », le premier surnom du
prozac ainsi que par l’écoute des « récits du malheur20 » qui enclenche le phénomène de
psychologisation qui nous intéresse. Le vagabond voit sa « maladie sociale », le nomadisme,
enfin traité, écouté, par la possibilité d’accéder à la cure quasi psychanalytique.
Deux types d’entretien sont développés dans les C.M.P : L’entretien de soutien et l’entretien
psycho-dynamique. L’entretien de soutien est l’outil du personnel infirmier, il vient en
accompagnement du travail du médecin psychiatre, du psychologue, dénommé ici comme les
psy, qui le pratique également. L’entretien de soutien vise à étayer la personne sur ses aspects
positifs sans rentrer dans sa problématique. L’entretien psycho-dynamique, pour être mis en
œuvre, réclame une demande du patient. Nous trouvons là cette attirance du public pour la
cure où ils espèrent trouver des réponses à leur questionnement puisque toute la « magie » du
système consiste à suggérer que l’entretien avec le psy soit source de « réponses ». A ce
moment là, le « client » est prêt et le psy n’a plus qu’à accéder à sa demande. L’entretien
psycho-dynamique d’inspiration analytique demande une formation aux psy qui pour le
pratiquer doivent avoir eux-même suivi la cure. L’entretien psychanalytique donne au patient
exclu ou SDF, client en réalité, l’occasion de redécouvrir par la parole les phénomènes
inconscients qui perturbent sa vie psychique. Dans le cadre de l’entretien psycho-dynamique
la personne analyse, avec le psy, les aspects inconscients de son fonctionnement qui lui pose
problème tant dans sa vie privée que dans sa vie sociale. A l’heure d’aujourd’hui il n’y a pas
dans les C.M.P de public privilégié pour les deux types d’entretien, c’est la « demande » du
« client » qui détermine le choix. Ainsi un SDF, un exclu chômeur peuvent accéder à
l’entretien psycho-dynamique. Dans la réalité 80% des entretiens menés par les psy sont de
nature psycho-dynamique, leur domaine d’excellence, et 20% sont des entretiens de soutien.
La psychologisation des SDF et des exclus est donc une réalité en marche. C’est dans leur
inconscient qu’ils viennent aujourd’hui chercher les raisons de leur exclusion sociale. Les
limites de cette psychologisation tiennent au nombre de psy et à leur capacité de travail mais
20 Laè J.F., Murard N., les récits du malheur, Descartes et Cie, 1995
nombreux sont ceux qui dépassent leurs horaires de fonctionnaires emportés par cette
La psychologisation de l’intervention sociale se présente comme un nouveau champ
d’expérimentation pour une science médico-sociale en devenir. L’alliance du médecin, du
psychologue et du travailleur social devient la clé pour tenter de résoudre les équations
délicates posées par les individus désaffiliés. Une évolution certaine est en train de se
construire dans le croisement des savoirs et des pratiques qui montre que le monde médical
transforme ses modes d’intervention pour faire évoluer les modes d’intervention sociale.
III. Le réseau psy-précarité de la ville de Paris comme prise en charge dans la rue des exclus/SDF en continuité des C.M.P
Dans ce contexte des expériences innovantes peuvent se développer portés par des Médecins,
des psychologues et des travailleurs sociaux. Notre premier exemple de terrain porte sur une
forme différente de la psychologisation de l’intervention sociale : le fonctionnement de
l’inter-secteur psy-précarité sur la ville de Paris avec les travailleurs sociaux.
La constitution d’un réseau santé-social intégrant les partenaires du soin psychiatrique et de
l’accueil social est un premier pas à l’encontre des logiques hospitalocentristes. Cette
démarche vise à promouvoir la santé mentale et la réinsertion sociale des exclus en réduisant
les barrières entre les services et les usagers. Cette réduction des distances sociales
soignants/soignés s’effectue par le développement de principes d’intervention: « aller à la
rencontre », aider les équipes de terrain à faire face aux situations de crise. A l’interface du
sanitaire et du social, l’inter-secteur psy-précarité permet d’expérimenter de nouvelles
approches cliniques par l’instauration d’une proximité spatiale avec des patients potentiels.
Fondées sur appel d’offre de la D.D.A.S.S de Paris cette unité fonctionnelle est constituée de
cinq équipes mobiles qui couvrent les cinq secteurs psychiatriques de Paris. Ces équipes
mobiles constituées d’un(e) infirmier(e), d’une assistante sociale sont chapeautés par un
psychiatre. Jacques Simonnet est nommé coordinateur en 2000 et à son départ en retraite en
2003, l’inter-secteur psy-précarité, devenu un service à part entière, le S.A.S.M.E.S21 dirigé
aujourd’hui par le Dr Mercuel, continu son travail auprès des SDF malades mentaux à Paris.
21 Service d’appui Santé Mentale Exclusion Sociale
La simplicité de la démarche n’est qu’apparente. La relation soignants/soignés
ordinaire suppose une demande qui permet au personnel de poser un diagnostic, d’élaborer
une première démarche curative. L’absence de demande est chose courante chez les personnes
sans domicile qui repoussent la perception de la douleur tant physique que psychique au-delà
des limites ordinaires. Le personnel soignant se trouve donc ainsi projeté dans une situation
médicale et sociale inédite. Il rentre en contact avec des « patients » potentiels qui déclarent
ne pas souffrir, ne pas avoir besoin de soins. Comme c’est le cas dans les interventions du
SAMU social les équipes se heurtent à cette injonction venant des SDF « les gens du SAMU social sont priés de nous foutre la paix ». Il s’agit donc de tenter d’établir un lien en amont de
toute prescription médicale. La collaboration avec les travailleurs sociaux devient ainsi la
règle, puisque ceux-ci, par leur fréquentation quotidienne des SDF, des exclus sont les
témoins, les confidents des détresses et souffrances qu’ils connaissent. Les travailleurs
sociaux, de leur coté, s’avouent régulièrement démunis devant des manifestations
comportementales symptômes de pathologies qui leur sont inconnues.
Les complémentarités sont donc manifestes entre secteurs santé et social dans une dynamique
de réseau et de partenariat. La complémentarité est la divine surprise du travail en réseau,
puisque chaque professionnel peut redécouvrir la spécificité de sa formation, de sa pratique
par des interventions ciblées. Les SDF, les exclus savent faire appel ponctuellement aux
équipes soignantes psychiatriques, mais rompent les liens dès qu’ils se sentent mieux. Le
poids des représentations asilaires et les images de dangerosité qui leur sont associées leur
font fuir tout contact prolongé dans des structures identifiées. Le partenariat permet de
prolonger l’action entreprise « hors les murs », dans des lieux déspécifiés, là où se trouvent
les populations concernées. A l’inverse une hospitalisation nécessaire peut être préparée et
éviter les traumatismes de l’hospitalisation forcée. La logique de soin, de réhabilitation
psychosociale du sujet devient un des éléments de l’intervention auprès des sans domicile, des
exclus réalisant une intégration de la psychiatrie à la communauté. Débarrassé de l’obligation
de soin, le sans domicile traité perd de son apparente dangerosité sociale. L’articulation des
secteurs santé-sociaux, dans une optique de médiation avec les populations, de modification
de représentations dégradantes des sans domicile, paraît une affaire d’intérêt général. L’inter-
secteur psy-précarité devient la manifestation d’un nouveau versant de la politique de santé
Nous sommes pour le moment dans le cadre d’une politique publique à caractère novateur. Il
s’agit d’un mode d’intervention sociale inspirée des expériences américaines d’out
reach22 avec un accueil à bas seuil qui soulage les souffrances psychiques révélées. L’inter-
secteur psy-précarité révèle une souffrance psychique qui suscite une demande de soin qui
n’aurait, peut-être, pas trouvé sans lui d’autres voies de résolution.
Et cependant l’hôpital et ses personnels ne cherchent-ils pas à se débarrasser, à bon compte,
de leur culpabilité asilaire ? La déspécification des lieux d’intervention des équipes ne va-t-
elle pas à l’encontre de la démarche même: l’écoute, le soin… ? Les sans domicile de tous
âges et de toutes conditions ne vont-ils pas instrumentaliser cette nouvelle offre de service et
ainsi augmenter un nomadisme institutionnel qui contribue plus à structurer leur mode de vie
qu’à l’éradiquer ? In fine, ne s’agit-il pas d’un des derniers avatars de notre société
d’abondance qui, face à la misère, délègue des équipes spécialisées pour compenser sa fatigue
compassionnelle 23 face aux sans domicile, aux exclus ? Ces questions pourraient paraître
provocatrices, s’il ne s’agissait de la nécessité d’investir à bon escient l’argent public en
faveur de populations dont la dignité et la citoyenneté n’ont pas toujours été respectées.
L’inter-secteur psy-précarité devenu S.A.S.M.E.S est-il l’amorce d’une psychiatrie de
transition voire d’une politique généraliste de fond liée à la refondation d’une autre
psychiatrie comme nécessité historique ? Seule une évaluation menée dans le temps et avec la
collaboration des équipes ainsi que des populations touchées est en mesure de mettre en
valeur la nécessité et l’efficacité tant quantitative que qualitative de ce dispositif. Le but étant
de mettre à l'épreuve l'existence d'une relation causale entre le mode d'intervention des
équipes psy-précarité et des effets sur les populations touchées. La démarche suppose de
pouvoir comparer des situations de terrain dont on pense qu'elles sont reproductibles comme
modèles d'intervention nouvelle. La difficulté consiste donc à apprécier les données
objectivables entre équipes d'intervention et entre membres de ces équipes ainsi qu'avec les
Les problèmes épistémologiques et méthodologiques sont, nous le voyons, nombreux,
du fait des difficultés à contrôler l'ensemble des variables, devant la diversité des situations
rencontrées par les équipes d’intervention. Des problèmes éthiques ne manquent pas de surgir
en fonction de l'implication tant des intervenants psy-précarité que des destinataires de
l'action. La conception même des équipes comme outil de changement, aussi bien dans la
22 L’out reach consiste à aller voir les populations SDF, les homeless américains sur site, là où elles se trouvent. Cette méthode a été généralisée aux Etats –Unis dans les années 70. Le SAMU social est la transcription « à la Française » de ce type d’abord des populations SDF 23 Guillou J., Moreau de Bellaing L., Misère et pauvreté, Sans domicile fixe et sous-prolétaires, Paris, L'harmattan, 1999, p. 143 .La fatigue compassionnelle englobe toutes les manifestations de rejet, de saturation des individus face à la misère exposée qui « caymande » dans les rues, le métro, les trains….
perception que dans l'intervention psychiatrique, suscite des situations ou des cas de figure
imprévus. Nous sommes là devant un cas de figure ou la psychologisation de l’intervention
sociale est à l’œuvre. Cette psychologisation se crée au sein même des espaces publics entre
acteurs, psy/travailleurs sociaux/SDF/exclus sous l’œil du public qui provoque24 et assiste à
IV. Le club du pont-neuf : une expérience alternative aux C.M.P menée par un psychiatre en rupture avec la psychologisation des SDF, des exclus
Deuxième exemple de terrain, nous allons examiner l’expérience menée par le Dr Jean
Pierre Martin au club du pont-neuf. Le club du pont-neuf est « la création d’appartements associatifs….en 1989 avec un appartement de trois places sur Paris : l’objectif en était la déchronicisation 25» et a été suivi par la création de nombreux autres appartements. A cet
instant l'errance, la vie d’exclu est considérée par le psychologue, le psychiatre comme une
issue thérapeutique26, "l'adaptation à une vie de subsistance et d'expédients est une des manières efficaces de cicatriser les pires douleurs psychotiques"27. Le travail du thérapeute se
veut « désaliénisant ».L'errant remet en cause chacun dans le rôle qui lui est assigné « aux psy de vivre en société et aux travailleurs sociaux d'être à l'écoute du devenir humain »28 un
nouveau mode de partage est proposé pour briser le carcan des représentations et des rôles
sociaux. A cette demande de l’exclu que traduit le symptôme, comment répondre ? Notre
propos s'appuie sur la réflexion et l'action menée par le docteur Jean-Pierre Martin. Il
s’agissait « d’une approche clinique qui rompt avec les protocoles hospitaliers et un regard extérieur sur la folie. Les symptômes du sujet sont situés dans l’histoire et les vécus de la 24 Un numéro de téléphone vert créé le 27 novembre1995 est devenu le 115 en septembre 1997 et fonctionne sur le territoire pour pouvoir signaler une personne en difficulté apparente et provoquer une intervention des services spécialisés, SAMU social, service de la R.A.T.P, S.A.S.M.E.S,.suivant la localisation de l’individu à secourir 25 Martin Jean-Pierre, Psychiatrie dans la ville, éditions érès, Paris, 2000 p 43 26 BIRRAUX Thomas, l'errance et la fugue: issues thérapeutiques, informations sociales, la rue, n°60, 1997, p56-63 27 SIMONNET Jacques, l'exclusion désordre, discorde, dialogue, Communication au colloque Européen, Dialogue-exclusion, Mental health social exclusion, Copenhague, 5-8 mai 1999 28 SIMONNET Jacques, opus cité, A la fin de sa communication au colloque de Copenhague en 1999 sur la maladie mentale et l’exclusion sociale, Jacques Simonnet, psychiatre à St Anne à Paris, conclue ainsi "Si l'exclusion fout la pagaille, c'est tant mieux car elle oblige à une décentration et à un partage: aux psy de vivre en société et aux travailleurs sociaux d'être à l'écoute du devenir humain" pour plus de précisions se reporter aux actes du colloque et à ma communication : GUILLOU Jacques « Vers une nouvelle frontière entre la psychiatrie et le social » European Congress, in English « Toward a new frontier between psychiatry and social exclusion : the example of Young homelesss people in France and Paris ». Mental Health and social exclusion. Rapport de la Conférence, Conference Rapport of The fifth Pan-European M.H.S.E Conference about socially excluded mentally ill people pp 22,23 Copenhagen 6-8 may 1999
rencontre avant d’être référés à l’histoire et à l’itinéraire singulier 29 ». Ainsi l'action
psychiatrique hospitalière peut être inopérante face aux demandes des jeunes SDF qui n'ont
pas l'allure des demandes ordinaires. La prise en charge, dès lors, n'est pas première, il s'agit,
plutôt, de faire apparaître du sens dans la rencontre entre malade et psychiatre. La
psychopathologie ne doit pas être surestimée et la souffrance sociale sous estimée en bonne
logique freudienne et ainsi « l’approche des errants et des situations de grande précarité appartient à une nécessité sociale mais aussi à une nécessité historique 30»
Il existe ainsi un danger réel à assimiler absence de domicile, exclusion sociale et
maladie mentale. Les points communs entre ces catégories, les SDF, les exclus et les malades
mentaux, n'autorisent nullement à les confondre. La question peut alors être posée:
Est-ce la maladie mentale qui conduit à la rue, à l’exclusion ou est-ce la rue, l’exclusion qui
Cette question ne peut recevoir de réponse précise. Le SDF, l’exclu malades mentaux posent un problème réel à la psychiatrie
traditionnelle en terme d'adaptation des réponses institutionnelles, puisqu'ils effacent la
frontière qui sépare la psychiatrie du social. Jean Pierre Martin, psychiatre, a remarqué ce
phénomène qui "remet en cause la séparation entre lutte contre la pauvreté et traitement de la folie"31 ; il craint pour la psychiatrie "un rôle d'ordre public identifié à l'assistance"32. Le
Dr Martin préconise alors une approche des sans abri, des exclus sans passer par
Cette prise de position conforte ce que nous pensions: le phénomène des SDF, des
exclus n’est pas médicalisé par tous les psychiatres. Ce paradoxe, c'est ce que nous allons
tenter de montrer, va plus loin que ce simple constat. En effet nos travaux auprès des SDF,
des exclus ont tendu à montrer combien la psychiatrie et l'hôpital psychiatrique sont assimilés
à un déclassement social supplémentaire dans le milieu des exclus, des SDF. Le recours à
l’hospitalisation est souvent la dernière extrémité pour l’hospitalisé. Or, toute la
démonstration du Dr Martin tend à prouver que l'on peut mettre en œuvre une démarche vers
la réinsertion à partir des structures, centres d'accueil et de crise, lieux de vie gérés par les
patients, structures que Jean Pierre Martin a contribué à créer. Il s'agit à l'évidence d'une
tentative qui va à l'encontre aussi bien de l'institution - " la psychiatrie se trouve, comme
29 Martin Jean-Pierre, Psychiatrie dans la ville, éditions érès, Paris, 2000, p141 30 ibid. p 204 31 Martin Jean-Pierre, L'institution psychiatrique face à l'errance, Fondations, n° 4, 1996, p. 89 32 Martin Jean-Pierre, opus cité, p. 89.
l'ensemble des institutions sociales, mal à l'aise, désorientée par ces demandes ou ces absences de demande qui transgressent les normes institutionnelles"33 que de l'image de
l'institution parmi les sans abri, les exclus. Nous sommes devant un travail partiel de
redéfinition de l'institution qu'il entend comme "une capacité d'adaptation de l'institution aux situations nouvelles., il ne s'agit pas d'accueillir sur un mode asilaire mais de permettre une rencontre et l'élaboration d'un dialogue possible".
Sous l'impulsion du Dr Martin et pour tenter de ne pas jouer ce rôle qu'il qualifie
pudiquement d'ordre public, l'institution psychiatrique abandonne ce qui constitue son rôle
premier, le soin, pour adopter une attitude en retrait où il s'agit de " ne pas se précipiter dans la prise en charge. et tenter de faire apparaître du sens dans les rencontres"34. Nous
sommes là devant une attitude nouvelle de la psychiatrie face aux SDF, aux exclus ou celle-ci
offre une résistance aux injonctions sociales de "balayage" des SDF malades mentaux de
Le club du Pont neuf, lieu de vie de jour, géré par d'anciens patients, couronne l'édifice
en luttant contre la solitude des SDF en termes de solidarité et d'appartenance. Ces modes
d'intervention paradoxaux, mis sur pied par le Dr Martin, s'appuient sur une conviction
profonde: la psychiatrie, de par sa longue histoire en matière d'enfermement des exclus, ne
doit pas, sur la question des SDF, des exclus s'inscrire dans ce rôle qu'on aurait pu attendre
d'elle. L'institution se présente alors comme "un lieu où venir, se poser, parler, écouter, dialoguer, faire quelque chose en commun : une ouverture vers la dignité et le respect de soi"35 Les SDF, les exclus sont considérés comme "des sujets en souffrance dont le principal risque est de trouver au bout du chemin quelque chose qui s'apparente à la mort psychique"36 Cette sollicitude part du désir " de comprendre comment la socialisation et l'échange fonctionnent pour eux"37
La préoccupation humaniste est évidente, mais quid de l'institution dans ce cas de figure
? Il existe, selon le Dr Martin, à travers cette expérience, une rupture avec les normes des
établissements "à l'opposé des replis sur les logiques hospitalocentristes"38. Nous sommes là
devant une tentative d'accueil des SDF, des exclus par l'institution psychiatrique qui tente de
33 Martin Jean-Pierre, op. cité, p.91 34 Martin Jean-Pierre, ibid. , p. 91. 35 Martin Jean-Pierre, Ibid. , p. 94. 36 Martin Jean-Pierre, ibid., p. 95 37 Martin Jean-Pierre, ibid., p. 95. 38 Martin Jean-pierre, op. cit., p. 95.
les traiter en citoyens tout en redéfinissant son propre cadre d'intervention. Cette tentative se
heurte, bien sûr, aux SDF, exclus eux-mêmes (ils viennent rarement d'eux-mêmes), pour qui
l'histoire de l'institution prime sur des mises en place novatrices, mais atomisées, qui ne
remettent pas en cause la définition de l'institution. La stigmatisation produite par un passage
par l'institution psychiatrique est telle que le déclassement des SDF, des exclus s'en trouve
L'expérience qui consiste à tenter de faire d'un accueil psychiatrique un lieu de
redémarrage est en soi paradoxale et répond certainement à des motivations autant liées à la
culpabilité des médecins comme continuateurs d'une institution dont l'histoire est celle de
l'enfermement qu'à leur esprit d'innovation face à une situation sociale, l'errance, pour laquelle
ils sont sommés de "faire quelque chose". Une forme de résistance à leur devoir
d’intervention sociale sur les « problèmes sociaux » se fait jour. Le refus de la médicalisation
des SDF, des exclus devient alors logique, l'action du médecin vise autant à se soulager, lui,
comme porteur, continuateur de l'institution qu'à prendre en charge les SDF, les exclus de
manière originale. Nous sommes là dans un jeu où il y a deux gagnants, les SDF, les exclus
qui évitent l'internement comme seule solution à leur déviance, et le médecin concepteur du
Cet exemple d'une nouvelle approche des sans abri, exclus, malades mentaux, jeunes et moins
jeunes, se fonde sur des principes d'adaptation à cette population. Ces services se sont établis
dans l'espace public, puisqu'il s'agit d'un problème d'espace public et non seulement de
psychiatrie. Les défaillances des méthodes psychiatriques traditionnelles essayent ainsi d’être
corrigées. Néanmoins de nombreux SDF, exclus malades mentaux continuent de choisir la
rue, leurs réseaux, pour ne pas perdre leur autonomie. Cette résistance à l'offre de services a
été observée également l’hiver, au moment des grands froids, par les équipes du SAMU
social, pour les plus désaffiliés39. Ceux qui deviennent clients ne le restent pas forcément
longtemps; le succès est donc mitigé40. Cet attachement à la rue des SDF malades mentaux
peut être interprété comme une contre-performance de l’aide, de l’aide, de l'action sociale,
39 "Ceux qui sont les plus désaffiliés(les clochards), "installés" depuis longtemps dans la rue hésitent même souvent à accepter de monter dans les véhiculent qui "maraudent" et à être hébergés par le SAMU social" VIDAL-NAQUET, hors les murs, p 117 40 "Quant à ceux qui oscillent en permanence entre plusieurs situations de précarité (Squat, famille, amis, petits boulots, manche, centre d'hébergement) et vivent donc des réseaux de survie (P.PICHON), ils tendent à utiliser le SAMU social comme un droit, comme une solution précaire aux problèmes du moment, et se détournent( mais pas systématiquement toutefois) des services d'insertion" VIDAL-NAQUET, hors les murs, p 117
qui, en multipliant ses offres de services, facilite un nomadisme institutionnel qui contribue
autant à structurer les modes de vie des SDF qu'à les éradiquer41.
Pour ne pas conclure : Le « putsch » du corps médical : une réflexion/pratique innovante de
l’ordre médico-gestionnaire qui tente de se construire, une évolution/métamorphose de
Au regard de l’interrogation que pose ce colloque notre démonstration tend à établir
qu’il y a bien une psychologisation à l’œuvre au sein de l’intervention sociale avec des
recherches de modes de travail nouveau. Les prises en charge tendent à être de plus en plus
individualisées et personnalisées. La place donnée au stress, à la souffrance sociale est
grandissante. Nous avons vu la genèse ancienne de l’intérêt du médical pour une prise de
pouvoir sur les vagabonds et ce que je qualifie de « putsch » le retour sous la bannière
psychanalytique des psychiatres et psychologue. Retour que les travailleurs sociaux ne
peuvent contester puisque celui-ci est dicté par l’Etat financeur. Les travailleurs sociaux dont
c’était le pré-carré sont toujours présents en force mais ne peuvent pas s’opposer. La raison
« d’Etat » triomphe des antagonismes et des querelles de clochers et le corps médical doit
donc composer avec les travailleurs sociaux.
Le « putsch » parait réussi sur le plan organisationnel, reste la réussite dans le temps comme
nouvelle politique de santé mentale auprès de ses destinataires, les SDF, les exclus qui elle
n’est pas prouvée. Ces modalités nouvelles d’intervention que nous avons présentés sont à
l’œuvre en ce moment, montrant que l’innovation existe au sein de l’institution hospitalière.
La psychiatrisation des exclus des banlieux, des habitants de la rue est en marche depuis de
nombreuses années et connaît un succès grandissant tant auprès des personnels hospitaliers
que des « malades » eux-même. Les C.M.P continuent leur travail de « soutier » de la
psychiatrie de quartier avec le support de l’hôpital. Les nouveaux modes d’intervention
provoquent un brouillage des repères qui remettent en cause les modalités de prise en charge
et les font évoluer. Pour le Dr Martin « il apparaît fondamentalement que les causes des exclusions ne peuvent se traiter comme une maladie et doivent être abordées comme un problème politique global42 » Les problématiques, santé mentale, santé sociale, se recouvrent
sans se confondre. De nouvelles collaborations concrètes voient le jour qui interrogent la
41 "Ce modèle de l'urgence est moins focalisé sur le "rétablissement" que sur la "maintenance" sociale" VIDAL-NAQUET, hors les murs, p 117 42 ibidem p 196
frontière entre santé mentale et précarité sociale. Ceci sans savoir si les réponses sont bonnes
puisque l’évaluation se fera dans la durée. La formule critique du rapport Lazarus de 1996
« les psychiatres ont tendances à survaloriser la pathologie et à sous-évaluer la souffrance
Reste la nécessité de poursuivre et d’observer ces expériences novatrices pour tenter de
comprendre ce qui se met en jeu dans ce déplacement des rôles d’antan. Une réelle
interrogation sur de nouveaux modes d’intervention, sur la frontière santé mentale/précarité
sociale doit donc se faire. Ceci aussi bien dans les conceptions des modes d’intervention que
sur les buts à atteindre en fonction de l’évolution permanente de la structure des populations
destinataires de ces interventions. La souffrance sociale constitue donc bien un enjeu que le
corps médical et l’hôpital veulent dominer non pour l’éradiquer, comme nous l’avons vu, du
moins pour la juguler sur injonction des pouvoirs publics. Ainsi l’hôpital psychiatrique pousse
ses ramifications au plus profond des quartiers sensibles et va à la rencontre des SDF, des
exclus partout ou ils se trouvent pour leur faire dire leur malheur. Le Médecin, le
psychologue, l’infirmier aider par les travailleurs sociaux les incitent à réfléchir sur les
raisons/réponses que ceux-ci peuvent trouver à leur situation d’exclu, de SDF au sein de leur
propre histoire. La psychologisation fait son œuvre et coupe le SDF, l’exclu d’une réflexion
plus globale sur les causes réelles de son état.
Cette psychologisation des SDF, des exclus nous renvoie, de maniére plus générale, à la
question de la construction moderne de la culpabilité individuelle par rapport à soi, à ses
proches, au genre humain. Nous avons tous à affronter, traiter notre sentiment de mal-être et
une partie du travail de la psychologie/psychanalyse consiste à nous suggérer que la source,
les réponses aux questions qui nous assaillent, nous dérangent, se trouvent à l’intérieur de
nous. L’interrogation de et sur sa propre histoire devient une nécessité et la théorie freudienne
une méthode. Les SDF, les exclus n’avaient pas fait parti des publics cibles des débuts de la
psychanalyse parce que l’échange d’argent est présenté historiquement comme un des
éléments de la cure psychanalytique hors les exclus, SDF en sont dépourvus. Le jeu classique
était biaisé et c’est logiquement que la psychiatrie publique a investi ce champ laissé en friche
par les psy privé ceci sous le vocable novateur de psychologie.
Comme le montre la démarche/réflexion du Dr Martin, malgré ou peut-être à cause de son
passé d’enfermement des pauvres, l’hôpital psychiatrique s’est lancé dans cette entreprise.
Enfin l’aboutissement de la psychologisation comme naturalisation des conduites permet de
reproduire le système socio-idéologique et de justifier les politiques basées sur la
Nous ne pouvons, ainsi, nous empêcher d’y voir une volonté/tentative de refondation du
pouvoir médical hors les murs. Mais le « putsch » des psy par rapport aux exclus, aux SDF
est, semble-t-il, pour le moment, malmené. Ceci en fonction du manque de psychiatres, de
psychologues, de personnels infirmiers en nombre dans les équipes de terrain. Leurs
partenaires « désignés », les travailleurs sociaux sont organisés, en nombre et ne veulent pas
s’en laisser compter. Les travailleurs sociaux par leur prise en charge en quantité et dans la
durée des SDF, des exclus, agissent comme un contre pouvoir, une « anti-dote » au corps
En tout état de cause, une logique de décloisonnement entre travail social et la psychiatrie
apparaît, sur la scène du traitement de la pauvreté, comme un outil politique de gestion de la
nouvelle question sociale. Pour le Dr Martin « il apparaît fondamentalement que les causes
des exclusions ne peuvent se traiter comme une maladie et doivent être abordées comme un
problème politique global 43». Le débat s’annonce vaste comme nous l’avons vu. Une
refondation intellectuelle, morale, politique et gestionnaire de l’intervention sociale est en
train de se mettre en place amorcée par une prise en charge métamorphosée, aller au devant
des exclus, des SDF, sur leurs territoires sans que nécessairement une demande ait été
formulée. La précarité, l’exclusion en seront-ils pour autant solutionnés ? La psychologisation
est-elle une issue pour l’individu exclu, errant pris dans la dimension de sa souffrance
psychique ? La question de la croissance de l’exclusion, de l’errance sera-t-elle jugulée ?
Nous le saurons si de nouvelles formes de solidarités, de vivre ensemble et avec soi-même, sa
souffrance, sa propre déchirure44 sont inventées dans le fil de cette démarche.
43 ibidem p 196 44 en hommage au festival « Art et déchirures » qui donnent l’occasion à des artistes « malades mentaux » d’exposer tous les deux ans à Rouen leurs œuvres et qui fut fondé par Joël Delaunay, José Sagit et Alain Gouiffes, « psy » de l’hôpital psychiatrique du Rouvray, prochain festival du 10 au 23 mai 2006
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